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Cher Alain…

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2241 1er décembre 2023

Le discours du président Alain Berset au président Emmanuel Macron, lors de leur conférence de presse du 16 novembre, était de bonne facture. Pas aussi subtilement ciselé que la réplique du président français, mais assez costaud. Revenons tout de même sur quelques failles, à commencer par son insistance sur notre proximité linguistique d’avec la France, comme si l’Etat fédéral ne comprenait ni germanophones, ni italophones.

Les deux présidents se donnent pour des amis de longue date. Soit, mais l’amitié, réelle ou feinte, du grand est de nature à endormir la vigilance du petit. Tout au bonheur de retenir l’attention d’un personnage aussi considérable, «cher Alain», au lieu d’être le petit chien qui aboie plus fort que le grand, en est resté aux aménités de surface.

Le président Macron, au contraire, ne s’est pas gêné pour passer plusieurs messages politiques, à coup d’allusions élégamment comminatoires et de remontrances, aimables mais fermes, à l’égard du petit élève qui pourrait faire mieux et, surtout, plus rapidement. Il attend de la Suisse qu’elle gère d’une façon plus institutionnelle le problème des frontaliers. Il désire qu’on règle les différends concernant les eaux du Rhône et qu’on soumette la gestion des trois ouvrages hydroélectriques du Doubs à la législation française. Il attend encore que la Suisse reconnaisse son appartenance historique à l’Europe en faisant aboutir sans délai les prochaines négociations de rapprochement avec l’Union européenne. Il a appuyé sur le fait que l’alignement de la Suisse sur les mesures prises à l’égard de la Russie était compatible avec la neutralité, qu’on pouvait même en faire davantage, notamment sur le plan de la revente d’armes suisses d’un pays tiers à un autre. «Vous traînez, mais vous y passerez quand même», semblait dire le président français.

M. Berset aurait tout de même pu mettre en cause, certes diplomatiquement, le comportement mesquin de l’Union à l’égard de la Suisse, tel qu’il se révèle dans l’exclusion des chercheurs suisses du programme-cadre «Horizon Europe» pour la recherche et l’innovation. Les pions qui décident dans les bureaux bruxellois nous ont mis au coin, tout au fond de la classe, pour avoir abandonné les négociations sur l’accord-cadre avec l’Union européenne. Ces gens refusent obstinément de comprendre les réalités politiques suisses qui sont à la base de cet abandon. Et la «diplomatie» de l’Union n’est qu’un instrument pour imposer un alignement idéologique qui ne souffre, à terme, aucune différenciation. Entre amis, il y a des choses qu’on doit se dire, même précautionneusement. Celle-là en était une.

M. Berset devait aussi affirmer, entre les lignes bien sûr, que la reprise automatique de l’évolution du droit européen est incompatible avec notre souveraineté. A l’intérieur de la Confédération même, toute évolution du droit fédéral est soumise à des procédures obligatoires qui permettent de la refuser. Ce serait, pour le peuple et les cantons, se renier eux-mêmes que d’être moins exigeants sur le plan de l’Union que sur le plan fédéral et d’accepter que les modifications du droit de l’Union leur soient imposées d’office.

Cela dit, que ce soit l’Union qui tranche en cas de désaccord entre la Suisse et l’Union n’est pas dépourvu de logique – il s’agit de droit européen –, mais c’est la logique d’un piège.

Le président de la Confédération devait souligner, discrètement, cela va sans dire, que le Conseil fédéral n’est pas un gouvernement comme les autres, étant soumis lui-même au contrôle du souverain. Et celui-ci, qui n’a que faire de la diplomatie, se rebiffe dans les urnes s’il a le sentiment que les autorités fédérales en prennent trop à leur aise avec ses libertés. On l’a vu avec le traité sur l’Espace économique européen. Nous n’avons jamais compris pourquoi nos autorités fédérales n’invoquent pas plus souvent ce contrôle obligatoire et permanent du souverain pour fonder les particularités de leur politique étrangère. Pourtant, quel argument ce pourrait être, dans les confrontations diplomatiques!

M. Berset aurait même pu ajouter, avec toutes les précautions d’usage, que les rumeurs concernant un renforcement de l’Union, notamment en matière de présidence et de défense armée, n’étaient pas de nature à inciter un Etat neutre au rapprochement.

Oui, il y avait beaucoup de choses à dire, en toute amitié, à celui qui sera peut-être le premier président de l’Union européenne renforcée. On a préféré les glisser sous le tapis qu’on avait étendu, pour l’occasion, dans la «Salle des pas perdus».

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