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Une bien petite «affaire du siècle»

Jean-François Cavin
La Nation n° 2245 26 janvier 2024

M. Pietro Boschetti a publié un livre destiné à montrer que le «deuxième pilier» de la prévoyance est défavorable aux assurés, sous le titre: L’affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs. Sa thèse est que les compagnies d’assurances, en gérant cette prévoyance devenue obligatoire en 1985, s’en sont mis plein les poches au détriment des assurés. Au début de janvier, 24 heures s’est plu à présenter ce sujet en pleine page, sans distance critique, sous la plume de M. Dominique Botti. De M. Boschetti, journaliste qui a donné du retentissement au rapport Bergier et qui a décrit sans aménité l’essor de l’UDC, on peut dire, usant de litote, que ce n’est pas vraiment un homme de droite. Quant à M. Botti, on peut compter sur lui pour mettre du poil à gratter dans les sujets qu’il aborde.

Mais voyons le fond de l’affaire. Selon le droit fédéral, le taux d’intérêt alimentant les avoirs des assurés était initialement fixé à 4%. Or, durant les années 1990, le rendement du capital a été bien supérieur, mais les assurés n’ont pas bénéficié du supplément de revenu. Ce sont ainsi 20 milliards, estime-t-on, qui ont disparu dans la poche des assureurs en l’espace de quinze ans. Les Chambres fédérales ont modifié les règles du jeu en 2005, mettant ainsi fin à cette juteuse opération (toutefois pas assez radicalement aux yeux de M. Boschetti).

20 milliards, c’est une somme énorme. On est donc prêt à crier au scandale. Mais qu’est-ce que ce montant représente au juste dans l’ensemble de la prévoyance professionnelle? Selon les derniers chiffres disponibles, ceux de 2020, le total des cotisations de l’année atteignait 82 milliards et la fortune totale des caisses de pensions était de 1’064 milliards. Faisons donc un peu d’arithmétique, en approche grossière. Si 20 milliards ont disparu en quinze ans, cela fait 1,3 milliard en moyenne par année. On admettra que les assureurs géraient la moitié du 2e pilier (l’autre moitié étant sous la responsabilité des fondations professionnelles). En rapportant 1,3 milliard à quelque 40 milliards de cotisations annuelles, cela ne fait que 3%. Pour le total, en rapportant 20 milliards à quelque 500 milliards de fortune en mains des assureurs, on est à 4%. Et les compagnies doivent rémunérer leurs actionnaires et sont tenues de constituer des réserves; il est d’ailleurs prudent de provisionner une partie des excédents des bonnes années en vue des périodes où la Bourse chute ou péclote; ce qui n’a pas manqué d’advenir.

Nous n’entendons pas soutenir que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles de l’assurance privée. Nous marquons notre préférence pour un 2e pilier géré par des fondations d’entreprises (si elles sont grandes) ou par les professions organisées. Elles le font probablement à moindre coût; surtout, la gestion des caisses de retraite est une occasion de collaboration concrète entre les partenaires sociaux au sein des conseils de fondation; et les syndicalistes s’y exercent au travail de capitalistes… Mais les assureurs ont leur rôle à jouer et, lorsqu’on leur demande des comptes, il ne faut pas perdre le sens des proportions.

Pourquoi 24 heures offre-t-il une si belle place, en ce début d’année, à un ouvrage relatant une absence de scandale sur des faits remontant à un quart de siècle? Risquons l’explication que voici. Le journal des familles, qui se doit commercialement d’être consensuel, ne donne guère de consignes de vote avant les scrutins. Mais voici venir, tout bientôt, la votation sur la 13e rente AVS et, un peu plus tard, sur une révision contestée de la loi sur la prévoyance professionnelle. Montant en épingle une prétendue arnaque dans la gestion du 2e pilier, il discrédite celui-ci pour mieux mettre en valeur l’AVS d’Etat: première étape d’une propagande subreptice en faveur de la 13e rente? Laquelle, rappelons-le, ne porterait pas sur 1,3 milliard, mais coûterait plus de 4 milliards par an!

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