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Les recrues de la génération Z

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2283 11 juillet 2025

Les recrues entrées en service la semaine dernière sont nées autour de l’année 2005, soit en même temps que Facebook (2004) et l’iPhone (2007). Elles avaient 9 ans au début de la crise ukrainienne, 10 lors des attentats du Bataclan. Autour de l’année 2019, leur participation massive à la grève du climat a catalysé leurs espoirs de changement, tout en démontrant leurs exigences d’une efficacité immédiate de l’action politique. Le Covid et son semi-confinement ont chamboulé leur adolescence en les coupant d’interactions sociales décisives à leur âge.

Certains de leurs parents les protégèrent à l’excès, inquiets de discerner chez eux un motif psychologique d’affirmer leur singularité, veillant du même coup à ne jamais les contredire. L’autorité des enseignants se fragilisa face aux revendications de parents prêts à aller au procès pour une mauvaise note. L’idée qu’une autorité tierce puisse s’imposer perdit en force. Dans notre société de l’abondance, les omniprésents réseaux sociaux jouèrent un sale jeu. L’immédiateté qu’ils permettent rendit la frustration intolérable. La distance qu’ils instillent autorisa les excès de langage les plus irresponsables, donnant libre cours à toutes les revendications.

Les grands-pères de nos jeunes recrues, nés après la guerre, n’ont pas fait la Mob. Personne ne leur a conté l’angoisse du départ en mai 1940, ni la gorge serrée, les inspections du Général. Leurs pères, s’ils ont fait du service militaire comme soldats, en ont fait au maximum trois cents jours, dans les dernières années d’Armée 95. Les messages qu’ils y recevaient étaient confus. La disparition de l’ennemi soviétique avait nourri les espoirs les plus illusoires de paix définitive. Le GSsA, le PS et les Verts ferraillaient à fond contre l’armée. L’attentat du World Trade Center, à la suite de la première guerre du Golfe, confirma le soldat dans son nouveau statut de policier global, prêt à mourir pour l’ordre international, et non plus pour la patrie. En visite à Paris pour leurs dix ans, nos nouvelles recrues voyaient des militaires patrouiller sous la tour Eiffel. Il fallut attendre la guerre d’Ukraine en 2014 pour que les armées européennes se recentrent sur la défense et sa mission, à tout le moins en Suisse: le dernier moyen du politique pour protéger l’intégrité du territoire et la souveraineté du pays.

C’est avec cet arrière-fond mental que la génération Z se retrouve aujourd’hui sous les drapeaux. Le colonel Hubert Annen, professeur de psychologie à l’académie militaire de l’EPFZ, a récemment évoqué les difficultés qu’elle pose à l’armée1.

Il relève une défiance croissante à l’égard de l’autorité, une intolérance très forte à l’encontre de l’arbitraire, qu’exprimeraient certaines punitions collectives, et la perception qu’un exercice trop difficile serait en fait une brimade inutile.

Le commandant de l’Ecole de recrues d’infanterie 12, à Coire, le colonel EMG Marc Schibli, décrit des recrues très informées dès leur arrivée, plus que celles de sa génération. Cela s’accompagne d’un plus haut niveau d’exigence en termes de compréhension des raisons de ce qui leur est imposé. Cette «recherche de sens» est naturelle, et le soldat qui comprend les raisons de sa mission l’exécutera mieux. Guisan n’a d’ailleurs cessé de «donner du sens», selon la formule consacrée, pour mobiliser les forces morales.

Mais cette recherche se transformera rapidement en une exigence de conviction. Le risque est que le soldat se jugeant trop peu convaincu par l’ordre qui lui est donné refuse simplement de l’exécuter. Le lieu final de la légitimité d’un ordre ne se trouve ainsi plus à l’extérieur du soldat qui le reçoit, c’est-à-dire en son chef et l’institution qu’il représente, mais dans son for intérieur.

Par sa simple existence, le service civil conteste la nécessité même de la défense de la communauté, après avoir nié l’idée qu’une communauté puisse s’imposer à nous. Il se situe, pour ainsi dire, au niveau stratégique. La psychologie de la génération Z fait, quant à elle, dépendre le principe de la défense de sa conviction que cette défense est bien nécessaire. Les enquêtes d’opinion démontrent que cette conviction est actuellement gagnée. Tant mieux, mais cela aurait probablement été l’inverse dans les années nonante.

Le problème se situe donc aujourd’hui à un niveau plus bas, qui est celui de l’exécution de la mission elle-même. Dans un tel contexte, le colonel Annen rappelle à raison que beaucoup de choses dépendent de la qualité des chefs et du lien de confiance interpersonnelle qu’ils parviendront à tisser. Il a toujours été indispensable de se concentrer sur l’instruction des cadres, et les récentes réformes ont heureusement prolongé cette formation.

Chaque génération pose à l’armée des difficultés nouvelles, qu’elle sait généralement surmonter. Dans les années 1920, l’esprit pacifiste consécutif à la «der des der» provoqua de forts relâchements de la discipline. Au printemps 1975, des comités de soldats menèrent des actions dans trente-trois des cinquante écoles de recrues, attirant l’attention de la troupe sur la nécessité de «démocratiser» une armée dénoncée comme outil de domination bourgeoise. Après 2003, l’introduction du service civil par la preuve par l’acte confronta les commandants à des cas inédits de chantage au service civil.

La réponse à ces problèmes ne se limite pas à ce que le commandant de corps Philippe Rebord, alors chef de l’Armée, avait qualifié en 2017 avec sa proverbiale franchise de «débats des couilles molles» à la suite de critiques contre l’introduction d’un «quart d’heure internet». Une armée doit faire avec les soldats que la société lui fournit. Et sa marge de manœuvre est d’autant plus réduite qu’elle se trouve à l’extrémité du processus éducatif. Sa principale responsabilité est d’être prête à affronter le pire. Même si cela passe, momentanément, par des chartes sur les modes de communication entre les lieutenants et leurs hommes, comme évoquées par le colonel Schibli dans 24 heures. Car il faut surtout nuancer la portée réelle de ces incongruités.

En Ukraine, la moyenne d’âge des troupes au combat est de plus de quarante ans. En partie parce que M. Zelensky refuse, à raison, que les moins de 25 ans, qui représentent l’avenir du pays, aillent se faire massacrer. On ne mène pas une guerre avec une seule classe d’âge. Cela exige que notre armée envisage une manière de pouvoir engager nos soldats après la fin actuelle de leurs jours de service, vers 26 ans. Cela passera par l’introduction d’une nouvelle Landwehr, ou à tout le moins de formations territoriales décentralisées, au sein desquelles on continuera de faire du service à petites doses. Le projet de développement des forces terrestres à l’horizon 2030 emprunte cette voie, de même que la récente volonté du Conseil fédéral de pouvoir dépasser dans les cinq prochaines années le plafond légal de l’effectif réel.

Née à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la défense spirituelle rappelait la dimension culturelle des préparatifs à la défense. Elle irradiait toute la Confédération. Durant la Guerre froide, la Suisse connaissait le concept de défense générale. Il impliquait l’ensemble de la société dans ces préparatifs. Concrètement appliqués, ces concepts transcendaient les clivages générationnels et sociaux. Nous devrions y repenser.

Notes:

1   https://www.24heures.ch/armee-suisse-et-gen-z-un-psychologue-militaire-parle-des-defis-375295109646

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