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La corporation, la foi et le Parti libéral

Colin Schmutz
La Nation n° 2272 7 février 2025

La dernière Revue historique vaudoise, parue en décembre dernier, propose un mélange d'articles aux thématiques variées. On y parle, pêle-mêle, de l'intégration des huguenots à la population lausannoise, du thermalisme à Lavey au XIXe siècle ou encore des chevaliers de la Cuiller, ces loubards aristocratiques vaudois du XVIe siècle qui voulaient en découdre avec la noblesse marchande de Genève, parmi d'autres sujets fort intéressants dont nous ne pouvons que recommander la lecture.

Deux articles traitant du Parti libéral ont particulièrement retenu notre attention, d'une part car ils rendent compte de l'originalité du libéralisme en Suisse et dans le Canton de Vaud, et d'autre part parce qu'ils nous offrent l'occasion de porter un regard critique sur un courant de pensée qui a considérablement marqué l'histoire suisse moderne. Le premier porte sur l'influence corporatiste et l'autre sur la question chrétienne.

Des libéraux corporatistes

Dans la Suisse des années trente, la crise financière et politique vient mettre à l'épreuve la démocratie libérale. Parmi les différentes théories qui émergent à cette époque pour tenter de «régénérer» ou remplacer l'ordre de 1848, le corporatisme est particulièrement à la mode. Contrairement à la conception libérale classique qui envisage la société comme un groupe plus ou moins homogène d'individus aux intérêts variés, les corporatistes défendent une conception organique de la société qu'ils définissent avant tout par les communautés (notamment professionnelles) qui la composent.

Cette doctrine a trouvé son terrain d'expansion initial au sein de différents mouvements antilibéraux, catholiques-conservateurs ou frontistes. Dans le Canton de Vaud, elle est principalement représentée par la Ligue vaudoise.

Or, l'historien Olivier Meuwly nous rappelle que le corporatisme a exercé une influence considérable au-delà de son foyer originel et notamment sur le Parti libéral. Cette curieuse rencontre entre deux écoles de pensée, a priori divergentes, débouchera sur la création de la Ligue libérale d'action (LLA), une organisation corporatiste affiliée au Parti libéral. La LLA, comme la Ligue vaudoise, défend les communautés organiques entre l'individu et l'Etat que sont la famille, les corps de métiers, les syndicats d'ouvriers et de patrons. Pourfendeuse des systèmes basés sur la confrontation de classes, critique du marxisme, du matérialisme et du capitalisme, elle empruntait beaucoup à la rhétorique contre-révolutionnaire.

En revanche, la LLA se distinguait de la Ligue vaudoise par sa fidélité aux principes fondamentaux du libéralisme et par sa pleine adhésion au système des partis. M. Meuwly relève ainsi l'ambiguïté d'un mouvement «enlisé dans ses contradictions».

La courte durée de vie de cette Ligue vaudoise au rabais (1934-1938) témoigne, selon nous, de l'incompatibilité évidente entre l'idéologie libérale, qui fait de l'individu l'élément constitutif essentiel de la société et qui cherche le bien commun dans la confrontation des intérêts particuliers, et la pensée corporatiste pour qui les individus se réalisent avant tout par les communautés auxquelles ils participent. En système libéral, la lutte des partis n'est que la transposition sur le plan parlementaire de la lutte de classes qui prévaut sur le plan économique. Le corporatiste intègre ne peut pas adhérer à l'une tout en rejetant l'autre.

Des libéraux chrétiens

Un autre article décrit l'évolution des préoccupations chrétiennes au sein du Parti libéral vaudois entre 1975 et 2005. Là aussi, il est fait état d'un tiraillement entre un pôle libéral et un pôle conservateur, ce qui a conduit le parti à adopter des positions ambivalentes sur les sujets de société. Il s'est longtemps posé comme un défenseur de la famille traditionnelle, tout en se montrant favorable à la solution des délais pour l'avortement (1977) ou au partenariat enregistré (2005). Ses positions sur la drogue sont cependant restées très conservatrices.

Ces analyses permettent à l'auteur de l'article, le politologue Blaise Fontanellaz, de qualifier le PLV de parti «libéral-conservateur» ayant incarné une forme de «démocratie chrétienne protestante». S'il n'observe aucune diminution des préoccupations chrétiennes dans l'histoire du parti, il note que la fusion avec les radicaux signifiera «une sécularisation ou déchristianisation complète des cadres, élus et militants […]».

Des libéraux radicaux

Ces deux facettes de l'histoire du Parti libéral nous rappellent qu'il incarnait en fait l'aile droite de la pensée libérale en Suisse, dont l'aile gauche était représentée par le Parti radical. C'est pourquoi, au cours de son histoire, le Parti libéral a souvent tempéré son libéralisme en adoptant, par exemple, des positions conservatrices ou corporatistes. Son réalisme politique lui a probablement permis de limiter, pour un temps, les excès de l'idéologie.

Mais comme le rappelle M. Fontanellaz, en citant le médecin libéral Jacques-André Haury, «dans un régime libéral, la loi n'a pas à créer les mœurs, mais à s'y conformer». Ce principe rend les libéraux tributaires de l'esprit du temps. Corporatiste quand la crise menace la démocratie, conservateur tant que la morale protestante prévaut, néo-libéral après les chocs pétroliers et radical quand la Suisse se déchristianise, le Parti libéral épouse la mode et ne trouve de constance à travers les âges que dans son électorat de la bourgeoisie établie (avant que lui-même ne s'effrite).

Or, pour préserver la société et ses mœurs, il ne faut pas se laisser passivement emporter par leur évolution, mais oser plutôt les réaffirmer contre le temps. Le libéralisme pèche dans ses fondements en postulant que l'ordre naîtra de la liberté des hommes, alors que c'est l'inverse.

Références:

•  Olivier Meuwly, «Une organisation corporatiste méconnue: la Ligue libérale d’action (1934-1938)», in: Revue historique vaudoise, tome 132, 2024, pp. 163-173.

•  Blaise Fontanellaz, «Le Parti libéral vaudois et la "question" chrétienne: 1975-2005», in: Revue historique vaudoise, tome 132, 2024, pp. 175-189.

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