De la culpabilité morale de l’écomobilité
Le monde moderne est divisé en deux camps: le Bien et le Mal. L’école, les médias, l’Etat et de nombreux influenceurs nous apprennent durant toute notre vie ce qui est bien et ce qui est mal. La plupart du temps, la distinction est assez simple et on ne risque pas de se tromper.
Mais il y a parfois des cas compliqués, qui nous obligent à réfléchir (ce à quoi peu de gens sont préparés). La voiture, par exemple, c’est mal. Mais la voiture électrique, c’est un peu moins mal; c’est presque bien; comme une sorte de rédemption. On parle de véhicules hybrides: mi-Bien, mi-Mal. Le camp du Bien promeut l’achat de voitures électriques (quoiqu’en proscrivant l’aménagement de routes où elles puissent rouler).
Cependant, comme rien n’est simple, une grande partie des voitures électriques appartiennent tout de même au camp du Mal. Ce sont notamment les voitures électriques chinoises, parce que la Chine appartient au camp du Mal (l’amitié entre les peuples, c’est bien, mais l’amitié avec les Chinois, c’est mal). Ce sont aussi, désormais, et peut-être surtout, les voitures électriques construites par la firme de M. Elon Musk. Le sulfureux milliardaire appartenait déjà au camp du Mal avant d’être nommé ministre de l’Efficacité gouvernementale par Donald Trump; depuis lors il est devenu carrément emblématique du Mal; un génie du Mal.
Vous voyez où nous voulons en venir? Tous nos concitoyens qui, voulant se montrer exemplaires et écoresponsables, s’étaient précipités sur les premières voitures électriques mises sur le marché – celles de M. Elon Musk, donc – se retrouvent aujourd’hui marqués du sceau de l’infamie. Ils sentent se poser sur eux (ou ils l’imaginent, à force de le faire eux-mêmes) le regard désapprobateur de leurs semblables. Ils réalisent que, tout compte fait, il serait encore moins déshonorant pour eux de rouler dans un gros Hummer avec un moteur V8 et sans catalyseur. Ils tentent de s’acheter une bonne conscience (pour un prix variant entre 6 et 9 euros) en apposant sur leur véhicule des autocollants anti-Elon Musk que l’on peut commander sur internet.
Pour un peu, ils seraient prêts à brûler leur propre voiture (ou à prier pour qu’elle s’enflamme d’elle-même). Le petit ange (en rouge, sur l’épaule gauche) chuchote: «Oui, brûle-la pour te purifier!» Tandis que le petit diable (en bleu, sur l’épaule droite) ricane: «Elon est peut-être un peu space, mais au moins il est politiquement incorrect, ça nous change! Et puis tu ne vas pas partir en vacances en vélo-cargo?»
Or il est à craindre que ce soit justement cela que l’avenir nous réserve: bientôt, nos docteurs de la Loi nous enseignerons qu’une voiture électrique, pour pouvoir se revendiquer du camp du Bien, doit avoir seulement deux roues et des pédales. C’en sera fini de la tolérance aux véhicules hybrides.
Cet état de grâce durera jusqu’au jour où l’on verra débarquer chez nous des vélos électriques made in China. Ou, pire, des vélos électriques vendus par M. Musk! Gageons que, ce jour-là, même la Ville de Lausanne effacera ses pistes cyclables.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un nombre suffisant – Editorial, Félicien Monnier
- L’initiative Alberto Mocchi, un premier pas vers la défense de nos agriculteurs – Quentin Monnerat
- La corporation, la foi et le Parti libéral – Colin Schmutz
- Pour une transformation numérique souveraine – Marc-Olivier Busslinger
- Erratum – C.
- L’enfant philosophe – Olivier Delacrétaz
- Places et jardins – Jean-François Cavin
- Accomplir Gilles, sans musique… – S. Mercier & B. de Mestral
- L’ultime vallée – Jacques Perrin