«Un si beau printemps», récit introspectif et rétrospectif de Michel Bühler
Cet anniversaire coïncide avec la parution d’un récit intitulé «Un si beau printemps» dans lequel l’écrivain Michel Bühler porte un regard rétrospectif sur les quarante années qui se sont écoulées depuis ses débuts dans la carrière artistique. Il s’agit d’un retour en arrière teinté d’amertume. L’auteur pose d’emblée la question: «Que nous est-il arrivé? (…) Une révolution a eu lieu. Pas celle que nous espérions. Nous avons échoué, nous nous sommes fait baiser, profond. Par qui? Comment?».
Ce nouveau livre entend répondre à ces interrogations. Michel Bühler s’y astreint non seulement pour lui-même et ceux de sa génération, mais aussi pour la jeunesse d’aujourd’hui qui n’a partagé ni ses utopies et ni ses combats. Son livre est destiné à trois «neveux» métis, les enfants d’un couple d’amis proches.
Cet exercice d’explication est aussi pour le chanteur de Sainte-Croix le prétexte à évoquer ses heureuses années parisiennes, durant la décennie septante, et de se rappeler les tribulations de la maison de disques L’escargot, fondée par ses amis Gilles Vigneault, François Béranger et quelques autres. Il y a de la joie et de la fraîcheur dans ces moments insouciants qui tranchent avec le désenchantement que lui procure le monde actuel.
Mais voilà, aujourd’hui l’argent est devenu tout-puissant… Alors pour comprendre, en brave «Bouvard et Pécuchet de la science économique», Michel Bühler a entrepris de se documenter. Il a plongé dans les livres d’économie, d’Adam Smith à Milton Friedman en passant par John Meynard Keynes. Disons- le tout net, sa tentative de vulgarisation ne convainc pas. Malgré ses recherches bibliographiques, Michel Bühler n’a pas abandonné les lunettes de ses convictions et ses explications demeurent fortement teintées par ses certitudes initiales.
Avec un souci didactique, Michel Bühler ne craint pas de parler de «communisme», de «socialisme» et de «révolution». On sent qu’il voudrait encore y croire comme à un amour de jeunesse… C’est à contrecoeur qu’il admet que ces utopies ont signifié sous d’autres latitudes les pires tyrannies, la destruction et la mort. Il ne s’y attarde guère, préférant fustiger le Chili de Pinochet, l’Angleterre de Margaret Thatcher ou l’Amérique de Bush.
La révolution viendra-t-elle de l’écologie et de l’épuisement des ressources naturelles? Michel Bühler mentionne cette idée sans la développer. Ses préoccupations demeurent essentiellement sociales. Son combat continuera tant qu’il y aura des usines qui ferment, des clandestins qu’on exploite ou des services publics qu’on privatise.
L’égoïsme et le cynisme le révoltent. On comprend bien l’abîme qui le sépare de la génération actuelle, individualiste, consumériste et sans conscience politique. A la fin de son récit, Michel Bühler reçoit des nouvelles de ses «neveux» qu’il avait perdus de vue. L’un écrit du rap, l’autre est éducateur de rues à Lausanne. Leur «oncle» se réjouit d’y trouver le signe que la lutte continue. Soit. Cela n’en demeure pas moins un peu ténu pour qui voudrait y voir l’annonce de la révolution à venir…
Ce sentiment d’inabouti ne doit cependant pas masquer la sensibilité et la délicatesse dont fait preuve l’auteur dans le rappel de ses souvenirs ou la description des choses de la vie. «Un si beau printemps» contient des pages d’une grande force poétique lorsqu’il évoque la mémoire de son père, la dignité des ouvriers de Sainte-Croix ou l’austérité de son Jura natal endormi sous la neige. Même s’il est souvent déçu, Michel Bühler croit profondément à la fraternité entre les Hommes. Il ne se résigne pas à la résignation. C’est une qualité que nous lui reconnaissons volontiers.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Les réformateurs aveugles – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Un travail alimentaire – La page littéraire, Cédric Cossy
- Coutumes et libertés – Pierre Rochat
- Un complot pour rien – Revue de presse, Ernest Jomini
- Une tournée en autocar – Revue de presse, Ernest Jomini
- Photo 2010 – Revue de presse, Ernest Jomini
- Noël sans Christ? – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Le bien, banal et fragile – Jacques Perrin
- «La nationalité demeure» – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Histoire inouïe des Ouïgours - Dilemme entre le noir et les jaunes – Le Coin du Ronchon