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Le métier le plus dur du monde

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2287 5 septembre 2025

A la fin des Misérables, le policier Javert se suicide, ne supportant pas de «trahir la société pour rester fidèle à sa conscience». Il venait de découvrir que la bonté peut exister même chez un bagnard1. On aurait pu garder de ce passage l’idée que l’ordre, représenté par la police, et le bien incarné par un ancien criminel, sont inconciliables.

Dans la lignée de Michel Foucault, une immense partie de la gauche considère qu’au fond, le criminel, mais aussi le fou, le malade ou le transgenre, est simplement victime de s’être trouvé de l’autre côté d’une frontière tracée par d’autres. Une normalité différente serait toujours possible, et l’inclusivité serait la seule vertu politique à même d’effacer cette limite. La société – si chère à Javert – imposerait des carcans qui empêcheraient l’expression de la bonté fondamentale de chacun. Les victimes de prétendues violences policières, les martyrs de son racisme systémique, ne peuvent être, au fond, que des anges mal révélés.

Pourtant, que cette frontière existe, tracée ici par le code pénal, ne signifie pas qu’elle soit illégitime ou infondée. Car elle pose, d’un bout à l’autre de la chaîne pénale, la question philosophique la plus vertigineuse qui soit: celle de l’existence du mal, et de la liberté qu’on a, ou non, d’y céder.

Le policier a pour métier de se tenir sur cette frontière, et de regarder simultanément de ses deux côtés. Cela fait de ce métier l’un des plus durs du monde. Qu’il interrompe une rixe, poursuive un cambrioleur ou fouille un trafiquant de drogue, le policier engage physiquement sa personne et sa vie. Il ne sait jamais vraiment ce qu’il «trouvera en face», où les limites, lorsqu’il y en a, ne sont pas les mêmes que les siennes. Car chacun de ses gestes doit être mesuré, et l’usage de la force toujours viser la désescalade. Le recours à l’arme de service est l’ultima ratio. Sa responsabilité morale est de ne jamais céder à la violence, ou à l’abus de pouvoir, qui est une violence juridique.

Ses missions le confrontent directement aux bassesses humaines, dans tout leur spectre et leurs nuances: l’opulent propriétaire d’une voiture de sport qui dissimule sa récente consommation d’alcool; le trafiquant de drogue vaniteux qui croit balader l’inspecteur qui l’interroge, mentant avec aplomb contre le contenu explicite de plusieurs heures d’écoute téléphonique; le père incestueux qui ne comprend pas ce qui est intolérable dans le fait d’imposer sa présence sous la douche à sa fille de 12 ans; la jeune racaille qui empêche tout le quartier de dormir à coups de rodéos routiers pour fêter l’écoulement de son premier kilo de cannabis.

Les hommes et les femmes qui composent notre police fréquentent le mal au quotidien. Et si l’exercice du pouvoir corrompt, en particulier en démocratie où il fait toujours escorte à l’orgueil d’avoir gagné une élection, la fréquentation de la faiblesse humaine laisse aussi des traces.

L’esprit de corps, les traditions officielles et les rituels officieux, les blague répétitives et l’humour douteux font partie des réponses que les policiers, mais aussi les militaires en opération ou les médecins aux urgences, se donnent pour ne pas sombrer de l’autre côté. Elles renforcent l’identité de la communauté qu’ils forment au service du pays. Les dérapages sont évidemment possibles. Ils ont toujours une cause. Celle des dérapages racistes de certains policiers, voire même de la complaisance éventuelle d’une partie de leur hiérarchie, ne vient pas obligatoirement d’une idéologie raciste intégrée, assumée et exprimée comme telle. Elle vient plus souvent d’un malaise. Celui qui fait croire à qui en est victime que la provocation est la dernière expression de la liberté et qu’elle est une manière de reprendre, un bref moment, le dessus pour ne plus se sentir dépossédé.

Le débat qui secoue le Canton depuis deux semaines ne doit pas cacher les raisons pour lesquelles il est si difficile d’être policier à Lausanne. La principale en est la solitude que subit ce corps. Sont ainsi en cause trois décennies de complaisances municipales pour le milieu alternatif qui, il y a trois ans au très officiel et très subventionné Festival de la Cité, faisait encore scander par une foule en délire «Tout le monde déteste la police». L’extrême-gauche lausannoise et les Verts, bien représentés à la Municipalité, ne manquent pas une occasion de juguler la police. Le dernier exemple en date consistait en une tentative de la désarmer.

Il est choquant que ce mépris s’étale alors que le bilan sécuritaire de la ville empire. La politique municipale de la drogue a fait de Lausanne le shootoir du Canton et sa politique sociale en a fait la capitale des marginaux, de toutes provenances et de tous problèmes. La récente et fatale altercation du Restaurant Le Vaudois, à la Riponne, n’est malheureusement qu’une preuve supplémentaire du délitement sécuritaire de la ville. Quant à la course poursuite dans l’affaire Marvin, elle commença parce que la police cherchait l’auteur d’un coup de couteau donné à Chauderon. Le racisme n’y était pour rien.

Notes:

1   Victor Hugo, Les Misérables, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, p. 1344 ss.

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