Perversa lex sed lex
Les conventions collectives de travail (CCT) sont un pilier de l’organisation économique suisse. Elles permettent d’adapter les conditions de travail aux besoins concrets des employeurs et des salariés, dans le cadre de concessions réciproques et d’une surveillance corporative. La possibilité laissée aux exécutifs fédéral et cantonaux d’en étendre le champ d’application également aux entreprises et travailleurs qui ne sont pas membres des organisations signataires les renforce grandement, évitant la sous-enchère de forbans.1
Les salaires minimaux imposés à tous les emplois par l’Etat ont le défaut de ne pas tenir compte des besoins spécifiques de certaines professions ou type de postes et ne permettent pas une compensation entre le salaire et les avantages non-financiers (vacances, horaires et temps de travail, âge de la retraite, etc.).2
De manière générale, l’Etat ne devrait intervenir dans la réglementation du travail qu’en dernier ressort et plutôt encourager et protéger les accords entre partenaires sociaux.
Convaincu par ces arguments, le Parlement fédéral a adopté une motion demandant au Conseil fédéral de proposer une loi prévoyant que les clauses d’une CCT étendue l’emportent sur les salaires minimaux de droit cantonal. Cette intention louable contrevient cependant à notre ordre constitutionnel, s’agissant tant de la hiérarchie des normes que du fédéralisme.3 Le gouvernement s’est donc exécuté à contre-cœur, rédigeant un texte qu’il propose aux Chambres de refuser.4
La motion contrevient au principe de légalité et à la hiérarchie des normes. Une CCT est un contrat de droit privé, même après extension, et est donc de rang inférieur à une loi. Faire primer les clauses salariales d'une CCT étendue sur le droit cantonal violerait ce principe fondamental.
Ce projet viole aussi la répartition des compétences entre la Confédération et les Cantons?: ces derniers, dans leur politique sociale, sont autorisés à adopter des mesures de droit public, comme le salaire minimum, en complément du droit fédéral. Ce n’est pas parce qu’une proposition de la droite alémanique apparaît opportune dans un cas d’espèce qu’il faut y sacrifier les principes protégeant notre autonomie vaudoise.
Le Canton qui estime nécessaire de promulguer un salaire minimum sur son territoire serait donc bien inspiré de prévoir dans cette législation une réserve pour les salaires convenus dans le cadre d’une CCT, étendue ou non. Les syndicats, qui militent pour ces interventions étatiques, auraient également intérêt à favoriser le partenariat social qui les fait vivre. Ce choix appartient au législateur cantonal.
L’analyse économique et sociale, qui nous conduit à privilégier les CCT aux salaires étatiques, ne justifie pas de passer par-dessus bord des principes politiques et juridiques fondamentaux.
1 Quentin Monnerat, La Nation n° 2265, 1er novembre 2024.
2 Jean-Hugues Busslinger, La Nation n° 2275, 21 mars 2025.
3 Jean-François Cavin, La Nation n° 2252, 3 mai 2024.
4 FF 2025 123.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Loi sur les communes – Réponse de la Ligue vaudoise à la consultation cantonale – Editorial, Félicien Monnier
- Récolte de signatures: empêcher les dérives – Benjamin Ansermet
- Les chars russes vont-ils envahir la Suisse?? – Jean-Baptiste Bless
- On nous écrit (initiative Alberto Mocchi) – Réponse à M. Petermann – On nous écrit, Olivier Petermann
- Irresponsabilité – Olivier Delacrétaz
- La crise du Château – Jean-François Cavin
- On nous écrit (rôle du syndic) – On nous écrit, Louis Burdet
- La force selon Simone Weil – Jacques Perrin
- Occident express 132 – David Laufer
- L’œil de Sauron, des Plaines-du-Loup au Château – Le Coin du Ronchon