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Occident express 132

David Laufer
La Nation n° 2276 4 avril 2025

Nous nous promenions sur les hauteurs de Champéry. Le soleil d'après-midi rasait les prés qui commençaient déjà à verdir, bien trop tôt pour cette fin février. Au bout du chemin, à l'ombre de grands chênes, un vieil homme ratissait les feuilles mortes. En nous approchant de lui, nous avons découvert un portrait de Biéler?: il portait des bottes et un petit bonnet de tricot, un pantalon et une veste de toile bleue sous laquelle il avait enfilé un épais chandail de laine brune. Son visage était fin, ses joues un peu rosies par le vent frais, son œil unique nous regardant avec curiosité et gentillesse. S'appuyant sur son râteau il nous a expliqué d'une petite voix du fond des âges que le chemin s'interrompait un peu plus loin?: «?Moi je sais comment continuer mais pas vous, vous devez descendre par là, derrière la ferme et à travers ce bois?». Son accent était impossible à tracer, ce n'était ni valaisan ni vaudois, et c'était un français qu'on n'entend plus, lent et exact. Rien de ce qui a bouleversé Champéry et les stations de montagne depuis cinquante ans ne l'a atteint. Les chalets avec piscine intérieure, les étrangers millionnaires, les boîtes de nuit à champagne, les restos japonais, les centaines de kilomètres de pistes couvertes de petits bonshommes multicolores avec des yeux en miroir – c'est à deux ou trois kilomètres à peine de sa petite ferme, mais c'est à des années-lumière. C'est un homme d'avant-guerre, comme mon beau-père serbe. Ces deux-là, l'un à Champéry l'autre dans la campagne de Voïvodine, s'habillent exactement de la même façon, ratissent leurs feuilles par plaisir autant que par habitude, mangent probablement les mêmes tranches de lard fumé au petit déjeuner et ne s'intéressent pas à ce qui se passe au-delà de leur vallée. Leur niveau de vie et d'éducation, leurs attentes de l'existence et leur compas moral sont voisins, bien plus en réalité que ceux de de leurs compatriotes suisses et serbes plus jeunes. Ceux-là aujourd'hui vivent sur deux planètes à ce point dissemblables qu'on a oublié tout ce qu'elles ont réellement en commun.

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