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En même temps

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2284 25 juillet 2025

Commentant, sur le site «Je suis Français», la dissolution de l’Assemble nationale du 9 juin 2024, le philosophe Pierre Manent affirme que c’est rester à la surface des choses que de définir la politique française comme une confrontation entre la démocratie et le populisme. La confrontation est plus profonde, n’étant pas politique, mais morale et métaphysique. Elle oppose les légitimes, qui occupent, de la gauche à la droite, tous les créneaux du républicanisme, et les illégitimes condamnés à l’exil intérieur et formant le parti maudit, le Rassemblement national.

Manent dénonce cette séparation ontologique entre les élus et les réprouvés. En bon libéral-conservateur, il déplore la disparition des partis qui se référaient explicitement à un corps de doctrine et échangeaient des arguments de fond avec vigueur, voire avec violence, sous la houlette d’une autorité politique chargée de la synthèse et de la mise en œuvre. On a supprimé la catharsis de la bataille électorale, qui calme le jeu et remet les compteurs à zéro. Il n’y a plus qu’un vaincu rejeté dans les ténèbres et un vainqueur incapable de tirer une politique de sa victoire.

L’actuel président a remplacé l’alternance par un grand parti gauche-droite inconsistant dont lui seul assure l’unité. Même l’extrême-gauche y est associée, en cas de nécessité électorale, comme on l’a vu en juillet 2024, au second tour des élections législatives anticipées, quand la droite et le centre ont appelé leurs candidats à un «désistement républicain» en faveur du «Nouveau Front populaire»1 pour faire barrage au Rassemblement national.

Parlant tantôt un langage militaire et tantôt l’argot des voyous, tantôt celui des agriculteurs et tantôt celui des théâtreux, humiliant les généraux en leur rappelant publiquement que c’est lui qui commande, court-circuitant le Parlement à coups de «grands débats» et de «conventions», le président Emmanuel Macron n’est pas l’homme de la synthèse politique, mais l’individu solitaire et omniprésent, qui ramène à lui toutes les opinions et toutes les ambitions.

Selon Manent, les institutions de la Ve République sont désamorcées. Elles ne sont plus qu’une structure vide, désertée par l’esprit qui les a inspirées, une mécanique électorale aveugle, branchée sur la seule acquisition du pouvoir, insoucieuse de la France et des Français.

La fameuse formule macronienne «en même temps» n’est pas une invite à tous les courants politiques à se plier à l’intérêt supérieur de la France, ni un appel au rassemblement de toutes les forces vives de la nation. C’est l’affirmation d’un pur pouvoir, qui ne compose pas les intérêts opposés, mais bien qui les absorbe et les neutralise. Nous ajouterions qu’il neutralise du même coup les contre-pouvoirs, – nécessaires quel que soit le régime –, qui contrebalancent le pouvoir de l’Etat par une authentique représentation des corps constitués, des syndicats ouvriers et patronaux, des villes, de l’Eglise, etc. De cette représentation, il ne reste que les manifestations sporadiques et sans espoir des gilets jaunes.

Comment ne pas voir un totalitarisme rampant dans le caractère englobant de cet «en même temps»?

Ce qui préoccupe encore Manent, c’est l’unanimisme brutal qui règne sans partage au sujet des «valeurs de la République», autre indice d’une tendance totalitaire. Il dénonce l’extraordinaire discipline de paroles et de pensée qui fait que les livres ou articles écrits avant les années 1980 ou même 1990 nous semblent remplis de propos intolérables et d’impubliables provocations.

Pour tenir ensemble, le bricolage hétéroclite de la «macronie» a besoin d’une haine commune, en l’occurrence une répulsion absolue à l’égard du Front national: Son excommunication fut pour la classe politique une ressource de gouvernement et un moyen de contrôle social et moral dont elle usa et abusa. La modification de son nom en «Rassemblement national» n’a rien changé à ce rôle de repoussoir.

Dès lors, les partis de gouvernement peuvent être inefficaces, ne pas tenir leurs promesses électorales, dire n’importe quoi, tordre le droit et les faits dans tous les sens. Les plus incapables, les plus bavards, les plus paresseux peuvent bien être nommés ministres, voire premier ministre. Ils conservent l’argument ultime: Nous, au moins, nous ne sommes pas eux. De son côté, le RN est entré dans ce jeu et tire de son exclusion un statut de victime apparemment rentable.

Pierre Manent est d’ailleurs loin de plaider pour le RN, qui a prospéré non par l'énergie ou la qualité de son action, mais en réponse, ou plutôt comme un contrecoup pour ainsi dire mécanique aux défaillances de plus en plus béantes des gouvernements successifs. […] La « France » tellement invoquée par lui est un bloc indistinct, qui ne suscite aucune pensée susceptible d'être développée, aucun sentiment un peu vif, aucun langage propre. Cette synthèse […] qui lie l'action politique à une certaine compréhension de l'histoire et de la vie de la nation, et qui est la signature d'une vraie proposition politique, cette synthèse est absente. On n'en aura pas la moindre esquisse car il s'agit d'éviter toutes les occasions de division à l'intérieur du bloc. Il ne reste donc que l'immigration, qui vient par définition de l'extérieur.

Convaincu que le salut ne viendra ni de l’Union européenne, ni d’aucun parti, Pierre Manent ne met pour autant jamais en doute la pertinence du régime démocratique pour la France, lors même que celle-ci reste essentiellement d’esprit monarchique. Il se contente de croire à la résilience politique du peuple français et à sa capacité de reprendre son destin en main. Nous devons revenir à la maison, dit-il à ses compatriotes.

Notes:

1   Assemblage électoral des verts, des socialistes, des communistes et de l’extrême-gauche.

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